Avertissement : cet article n’est en aucun cas destiné à encourager la consommation de drogues. Il a pour but d’informer sur certaines (curieuses) pratiques et sur les recherches scientifiques autour.
Par une chaude nuit d’été, prise d’une insomnie carabinée, je sortis sur la terrasse et qui vis-je ? Un crapaud commun (Bufo bufo), à cheval sur le pas de la porte ouverte. Se voyant, nous nous immobilisâmes pour mieux nous observer, lui observant le danger, et moi ne voulant pas perturber le charmant animal.
Mon esprit fantaisiste se demanda «et si j’essayais de l’embrasser ? Peut-être que les contes de fées en savent plus que moi ?» Le simple fait d’émettre cette pensée le fit évidemment fuir alors que je tentai de m’approcher.
D’autant plus que ce ne serait pas l’idée la plus brillante que j’aie pu avoir. La peau des crapauds est en fait recouverte d’un mucus particulièrement riche en substances toxiques, afin de les défendre contre les prédateurs. Sans ces toxines, les crapauds seraient de petits animaux fragiles, délicats et particulièrement vulnérables. C’est pour cela que l’on recommande de se laver les mains après avoir touché un crapaud*, afin d’éviter l’ingestion de ces toxines.
Il me semblait me rappeler que les crapauds qui se transforment en prince charmant dans les contes de fées avaient un lien avec ces molécules. Ainsi, plutôt que d’observer une transformation magique, la princesse ferait un voyage psychédélique, causé par le contact des toxines du crapaud avec ses muqueuses. Similairement, il me semblait que les crapauds étaient particulièrement liés aux sorcières à cause des mêmes molécules, généralement classées comme poisons toxiques alors qu’elles seraient aussi psychédéliques**.
Après quelques recherches, mes illusions concernant notre cher crapaud commun furent remplacées par une certaine fascination pour d’autres espèces de crapauds, notamment Incilius alvarius (anciennement Bufo alvarius), dont le venin contient effectivement des substances psychoactives. Le crapaud commun, quant à lui, se protège par des molécules qui causeraient de violents troubles digestifs, nerveux et cardiaques si on les ingéraient, donc même pas la peine d’imaginer essayer !
Les bufotoxines sont une grande famille de molécules présentes dans les glandes parotides, la peau et le venin de certains crapauds. Selon l’espèce, différentes molécules seront prédominantes. Les crapauds n’en ont toutefois pas le monopole : d’autres amphibiens ainsi que certaines espèces de plantes et de champignons en produisent aussi !
Incilius alvarius est le crapaud le plus connu pour ses sécrétions psychoactives. Cerain·e·s vont jusqu’à le lécher, ce qui est particulièrement déconseillé car l’on ingère en même temps des molécules qui vont au moins causer une sérieuse indigestion, si ce n’est des troubles cardiaques et neurologiques.
D’autres «traient» les glandes parotides de ce crapaud afin qu’il sécrète le venin riche en molécules psychoactives, notamment la 5-MeO-DMT et la 5-HO-DMT. Ces molécules sont analogues à la DMT, molécule psychoactive dans l’ayahuasca et de nombreuses préparations rituelles similaires. Le venin est ensuite séché puis fumé afin d’induire un voyage psychédélique semblable à l’ayahuasca, d’une durée plus courte.
La DMT se trouve en petite quantité dans le corps humain de manière physiologique, ce qui nous mène à supposer qu’elle a une certaine fonction en tant que neurotransmetteur. Il a de plus été supposé que cette molécule est importante dans l’expérience des rêves, et que sa sécrétion serait maximale au moment de la mort.
Möckel écrit au sujet de l’expérience psychédélique avec la DMT, «Rien ne peut vous préparer à cette expérience ! Le monde ordinaire est instantanément remplacé par un monde étranger. L’ego se dissout et apparaît dans des mondes bizarres jusqu’à l’expérience extra-corporelle ou la perte de conscience. Cela conduit à de fortes hallucinations optiques, des schémas kaléidoscopiques, «tout va à la vitesse de la lumière», avec une perception décalée du temps. L’expérience peut se dérouler entre le ciel et l’enfer.»
* Précisons aussi que, comme tous les amphibiens, les crapauds ont besoin que leur peau reste humide en tous temps afin de pouvoir respirer. Ils absorbent en effet la majorité de leur oxygène par la peau ! Pas touche donc si vous n’avez pas les mains bien mouillées et propres ! De plus, tous les amphibiens sont protégés en Suisse. Ne les manipulez donc pas si ce n’est pour les sauver d’un danger immédiat et interdiction de les sortir de leur milieu naturel pour les mettre chez vous (cela vaut aussi pour les enfants et les élevages de têtards).
** N’oubliez pas la fameuse phrase de Paracelse «la dose fait le poison» ! Tout peut être utile, tout peut être poison, ce n’est qu’une question de dosage.
https://www.erowid.org/animals/toads/toads.shtml et pages liées
https://en.wikipedia.org/wiki/Bufotenin
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bufotoxine
https://fr.wikipedia.org/wiki/Crapaud_commun
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dim%C3%A9thyltryptamine
Hostettmann, K. Les drogues d’origine naturelle. Editions Favre, 2018.
Hostettmann, K. Tout savoir sur les poisons naturels. Editions Favre, 2006.
Möckel, C. Voyage en conscience vers la guérison. Edition Solanacée, 2022.
La fondation suisse ALPS (Awareness Lectures on Psychedelic Science) organise des conférences autour de la recherche sur les thérapies assistées par psychédéliques. J’ai eu la chance d’assister à leur congrès en 2022 et trouvé chaque conférence fascinante. Vous pouvez les suivre sur leur chaîne YouTube, où ils rediffusent l’intégralité de leurs conférences.